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Les adultes, les enfants et les limites

La question des limites, nous y sommes confronté.es très régulièrement avec nos enfants. Voici une proposition de réflexion, à partir de différents ouvrages et d’échanges avec des professionnel.les, sur cette vaste et passionnante question.

On entend des conseils sur la fermeté nécessaire ou au contraire la liberté presque absolue qu’il faudrait permettre aux enfants. La question des limites ne se joue pas dans ce combat.


Ce qui peut nous interroger, c’est que la limite soit le reflet de la toute-puissance des adultes. Dans ce cas-là, l’enfant est poussé à obéir : dans un rapport de force, obéir met à l’abri des représailles et de la désapprobation mais prive l’enfant de l’exercice de son discernement. Et les risques sont connus : l’expérience de Milgram sur la soumission à l’autorité fait connaître dès les années 1960 la nécessité de réfléchir à l’obéissance. En outre, valoriser l’obéissance systématique des enfants revient à leur transmettre la nécessité de se plier à tous les désirs des adultes, et cela résonne avec la pédocriminalité qui est une forme paroxystique du rapport de pouvoir des forts sur les fragiles. Si l’on n’a pas compris les règles et les limites, alors on risque de se perdre, de ne pas pouvoir se protéger.


Les limites ne se réduisent donc pas à l’obéissance : à quoi servent-elles ? Pourquoi est-il difficile de les poser sereinement ? Comment y parvenir de façon éthique ?


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A quoi servent les limites ?


La limite est fondamentale puisque sa fonction première est de nous protéger. Les limites peuvent être des instruments de paix, de calme, un socle pour la tolérance, elles peuvent soutenir la liberté de chacun.e e étant des repères protecteurs ; si l’on prend l’égalité comme principe dans le lien aux enfants, alors la transmission des limites sociales devient un partage et non une guerre. Et cette égalité va jusqu’au fait que les enfants peuvent nous mettre des limites qu’il convient d’entendre.

En découvrant les limites, chacun.e apprend à prendre soin de lui.elle-même, des autres et du monde. Les limites permettent en effet de respecter la frontière entre soi et l’autre : son corps n’appartient qu’à soi et celui d’autrui ne nous appartient pas. En outre, nous sommes égaux devant le danger, les règles protectrices sont une traduction de la réalité et les adultes ont simplement acquis, au fur et à mesure des années, l’expérience qu’ils peuvent transmettre aux enfants. Les limites permettent donc aux enfants d’aller vers l’autonomisation. En utilisant le « on » qui nous rassemble, on se met du côté de l’enfant : On va mettre nos manteaux car il fait froid dehors.

Les limites essentielles peuvent être comparées à des règles de grammaire de la vie en société. Les limites sont en fait le contour des règles qui permettent de garantir le bien-être commun et individuel.


Les limites permettent donc d’assurer la santé et la sécurité de chacun.e.  Protéger les enfants de ce qui leur fait mal moralement ou physiquement est primordial d’une part pour les préserver, et d’autre part pour acter qu’il n’est jamais tolérable de subir des violences et toujours légitime de demander protection ou se protéger soi-même si nous en avons les moyens.

Plus généralement, les limites permettent aussi de protéger la relation avec l’enfant.


Quand on s’interroge sur nos règles, les limites que l’on pose, on peut prendre de la hauteur en se questionnant sur ce qui est important pour nous, nos intentions dans nos interactions avec les enfants, le genre de relations que l’on a envie d’avoir avec les enfants par exemple.


Les enfants questionnent les règles. Ils interrogent les limites, non contre nous mais pour eux-mêmes, pour le plaisir de la découverte, le plaisir de vivre, pour répondre à un besoin physique, par différence de logique avec les adultes, divergence de temporalité, ou encore par incompréhension. Pour grandir, il est même essentiel de prendre quelques risques et d’être hors cadre de temps à autre. En revanche, si les enfants se livrent infatigablement aux mêmes gestes interdits, chercher le besoin à satisfaire peut nous aider à réinventer nos limites...ou trouver comment les asseoir différemment – la résolution de problèmes peut alors nous y aider. Car quand une limite est nécessaire, elle doit être soutenue de manière pérenne. En effet, si nos réponses varient sans cesse, les enfants envisagent la limite comme un arbitraire à renverser. Rappeler la limite en revanche n’est pas forcément « pénible », on peut par exemple changer de voix, utiliser l’humour. Si l’on sent que notre enfant traverse une période où les limites deviennent difficiles pour lui.elle, des jeux de renversement de pouvoir peuvent aussi permettre de souffler dans le quotidien.

D’autres fois, les franchissements de limite par les enfants et les adolescents sont quelquefois d’urgents appels à l’aide.



Pourquoi est-ce difficile de poser des limites de façon sereine ?


A la racine de notre violence, on retrouve très souvent la fatigue, la culpabilité, l’isolement, le découragement, l’impuissance, le sentiment d’injustice, la sur-sollicitation. On peut aussi avoir eu des difficultés à poser des limites progressivement et exploser d’un coup. Si cette difficulté est présente, on peut y réfléchir en s’interrogeant si dans les différents domaines de sa vie, on sait faire entendre ses limites de façon paisible. A-t-on subi un rapport de domination que l’on ne souhaite pas reproduire ou bien au contraire a-t-on grandi sans limites ?


Et puis, si l’on considère que l’on a dépassé les limites, l’heure n’est pas à la culpabilité mais à la responsabilité. Et elle s’exerce en s’arrêtant pour tirer des leçons de nos erreurs : qu’est-ce que je regrette d’avoir dit ou fait, et quel(s) besoin(s) est-ce que j’essayais de satisfaire ? Comment aurais-je pu procéder autrement sans renoncer à mon besoin ?

Cela nous ramène souvent au poids de notre passé.


A l’inverse, exiger de soi une exemplarité émotionnelle constante nous fait renoncer à notre vérité et à nos ressentis. Faire entendre notre vraie voix, afin qu’ils sachent que nous aussi vivons plein d’émotions, permet le partage avec nos enfants.


Quelques habitudes de langage qui peuvent nous aider :

- si l’on sent que la colère gronde, penser à commencer nos phrases par « quand je… » + décrire la situation et ce que l’on ressent, on sera moins tenté de blâmer l’enfant

- s’il faut intervenir physiquement, en utilisant la force sans violence, on peut dire « Je t’aide à arrêter. » pour que l’enfant comprenne bien le sens de notre geste.



Comment poser des limites éthiques ?


Tout d’abord, pour que les limites soient structurantes, il est essentiel que la règle ait du sens.

Comment savoir quelles sont les limites essentielles ? On peut se demander si elles sont importantes, logiques, sécurisantes. Les règles que l’on pose sont liées à nos valeurs, nos convictions, mais aussi nos peurs.

Le groupe Krätzä qui lutte pour les droits de l’enfant propose quant à lui deux sortes de limites qualitativement différentes, ce qui peut nous amener à réfléchir les limites que l’on propose à nos enfants :

- les limites défensives (du côté du droit) : pour se défendre, pour se protéger des empiétements étrangers comme ne pas accepter la musique à trois heures du matin ; elles sont basées sur le principe « Ma liberté s’arrête là où commence celle des autres. » et visent à une vie commune paisible ;

- les limites agressives (du côté du pouvoir) : pour protéger les personnes d’elles-mêmes et les contraindre à leur prétendu bien.


En outre, certaines règles peuvent entrer dans la catégorie « bonnes habitudes » : ranger ses affaires, laver les mains avant le repas. Si nous entraînons les enfants à le faire systématiquement, nous pouvons espérer que cela deviendra un mécanisme automatique.


Il peut être utile aussi d’associer les enfants à l’élaboration d’une charte par exemple (en lisant les besoins et les comportements qui contribuent à satisfaire ces besoins), ce qui va nourrir leurs besoins de participation, de respect, de considération, et nous permettent d’affirmer concrètement que les besoins de tout.es comptent. Si les adultes fixent les règles et les conséquences à supporter par ceux qui les enfreignent, alors les adultes prennent la place d’un organe de répression qui relève les infractions et distribue les punitions.


Notre rôle, c’est de poser une limite en partenaire c’est-à-dire sans humiliation ni agressivité. Transmettre une limite infranchissable à un enfant, en l’actant, ce n’est pas le soumettre mais lui montrer le caractère nécessaire et inébranlable de la limite pour qu’il puisse la comprendre et s’y rallier ; on peut donc accompagner cette transmission d’explications et de sympathie. L’enjeu est de soutenir plutôt que de contraindre. Et face à une limite, un interdit, une réalité intangible, on peut aussi aider nos enfants à aller vers de nouvelles voies de curiosité, explorer d’autres potentialités.


Il est important d’entendre les émotions des enfants face aux limites, d’accepter d’accueillir la déception, la frustration ou la colère de l’enfant face à la règle. Ainsi, e rappel des limites doit s’accompagner d’une place pour parler, questionner et construire ses convictions.

L’écoute est une façon d’aider les enfants à traverser les expériences pénibles où ils.elles éprouvent des sentiments intenses ; voilà une façon de les aider à solutionner leurs problèmes quand ils se sentent dépassé.es.

Cela permet aussi d’apprendre aux enfants à dire leurs envies, leurs peines, leurs émotions et leurs limites, à écouter celles des autres, à y être sensibles et à ne pas les juger sans cesse.


Nous sommes tou.tes en proie à des formes d’agressivité selon les situations vécues. On peut aussi proposer à nos enfants des moyens d’expression compatibles avec les limites :

- apprendre à réparer : découvrir la fragilité de chacun.e et la capacité d’entraide que nous possédons tou.tes,

- mettre des mots sur les douleurs : dire et être entendu.e,

- proposer notre tendresse physique : massages, sophrologie, méditation,

- trouver des exutoires, remettre le corps en mouvement : décharge physique, sport, larmes, rire,

- ouvrir les chemins de la sublimation : dessiner, chanter, jouer, faire semblant, théâtre, danse, chant, écriture, peinture, sport.




Dans ce long chemin de l’accompagnement des enfants, notre but ultime reste celui de leur émancipation. Et pour y arriver, il va falloir qu’ils.elles rencontrent et apprivoisent leurs propres limites, négocient, questionnent, refusent ou acceptent celles des adultes et de la société. Nous pouvons choisir de préserver leurs émotions, soutenir leur capacité d’analyse, respecter et écouter leurs désaccords.




Bibliographie

- PEPS, dossier « Cadre, règles, limites, comment (s’) en sortir »
- C. Dejours, Travail vivant. 2 : Travail et émancipation, Petite bibliothèque Payot.
- L. Didier, ça suffit mon amour ! Que nous disent les enfants quand ils dépassent les limites ? Comment les aider à se construire ? Albin Michel & conférence
- S. Hart, V. Kindle Hodson, Parents respectueux, enfants respectueux. Sept clés pour transformer les conflits en coopération familiale, La Découverte.
- A. Solter. Développer le lien parents-enfants par le jeu. Jouvence.
- Atelier Faber & Mazlish « Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent »
- Vidéo de Catherine Dumonteil-Kremer sur les limites.



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